invitation au lâcher prie, suite

Je n’en ai pas tout à fait fini avec l’exploration de ce mot de Lâcher prise. Je rends hommage à ma langue française, car, pour une fois, elle nous propose une expression imagée, concrète et simple comme bonjour. Lâcher prise dit tout bêtement qu’il faut lâcher la prise, arrêter de s’accrocher, et ce, dans beaucoup de sens du terme.

C’est le mot « prise », « prendre » qui compte dans l’expression. Il signifie combien nous limitons, découpons, crispons, solidifions le flux continu, illimité de la réalité.

En prise : la voiture ne peut pas rouler dans la pente

Prise de vue : c’est n’appréhender qu’ un bout du paysage et toutes les prise de vue ne pourront épuiser celui-ci, et encore moins, si l’on passe à tous les autres sens et dimensions possibles d’expérience, et encore moins si l’on pense à tous les changements moment par moment de ce paysage, son ciel, sa lumière.

Com-pris, com-prendre : c’est une manière mentale de s’approprier une situation, un fait, une expérience infiniment multidimensionnelle, avec en contrepoint l’expression «  je ne saisis pas »,  qui dit bien combien l’on peut être perdu, quand  le mental ne s’y retrouve pas.

Dans un registre plus tangible, il faut que le projet « prenne » forme, que la mayonnaise « prenne », et le béton aussi. Nous arrivons au maximum de la « concrétion », de la concrétisation matérielle la plus dense. D’ailleurs, en anglais,  le béton se dit « concrete ».

Ce mot « prise », comme le mot « forme » n’est ni bien ni mal.  Il n’est ni bien ni mal que les choses prennent forme, ou les théories, ou les œuvres d’art, ou les objets du quotidien, ou les textes de loi. C’est seulement l’excès d’attachement, qui empêche la fluidité et l’adaptation à la danse de la vie, qui est en cause.

Le mot « prise de conscience » interpelle. A priori il est plutôt bien connoté, car s’il indique une sorte de limitation du champ de conscience, il suggère un élargissement de la perception initiale, ou de l’état de conscience d’avant. Un peu à l’image du cycliste, qui le nez sur le guidon, ne voit que le guidon et l’asphalte au dessous. Mais s’il lève la tête et se redresse, il élargit son champ de vision, voit le ciel, le paysage tout autour, et l’horizon devant lui. La « prise de conscience » en ce sens est une bonne chose, sous réserve qu’elle ne se fige pas, mais n’arrête pas de s’élargir, se  laisser remplacer par une prise de conscience  toujours plus vaste et ce,  à l’infini.

Voila tout est là. Pour vivre en ce monde de densité, il faut un minimum de stabilisation, de « concrétion ». La « prise » est utile si elle est adaptation, adaptée à l’instant présent ; elle est handicapante, si elle est excessive et déconnectée du temps et de la situation qui passe.

Le lâcher prise, c’est la possibilité permanente de se remettre dans le flux. Il est détente, desserrement, dissolution, fonte, qui permet l’écoulement. Et il peut s’expérimenter dans toutes nos dimensions :

  • Physique : c’est la détente des tensions
  • Emotionnelle : c’est laisser le chagrin s’écouler, la colère se dégonfler, le ressentiment se diffuser
  • Mentale : c’est décrocher d’une idée fixe, d’une conviction, laisser passer le cinéma des pensées
  • Spirituel : c’est s’abandonner, se confondre, se dissoudre
  • Dans toutes les dimensions, c’est laisser fondre, laisser fondre, laisser fondre

Et avec tendresse, je me dis que la vie, ça tourne aussi autour de la même idée :

  • Je nais : je « prends » forme
  • Je vis : je me con-forme au monde de mon incarnation
  • Je meurs : je «lâche » la forme

Voilà, nous arrivons au bout du sujet. Le grand Lâcher prise, l’ultime lâcher prise, c’est la mort, cette grande transition. Puissé-je, puissions-nous, lâcher prise alors avec grâce.

Paris. 8 mai 2020

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